Culture informationnelle

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Extraits de notre mémoire :  » La recherche d’information sur internet pour enseigner au collège : Exploration de la culture informationnelle de quelques enseignants.  »

La recherche d’information : un processus complexe

Rechercher de l’information (RI) est une activité humaine complexe et multiforme (Boubée, 2010 : 1) qui, parce qu’elle est courante et commune, peut passer pour ordinaire et simple. C’est une activité d’autant plus complexe qu’elle s’inscrit désormais dans l’univers informationnel et technologique composite et trouble et qu’elle porte en elle les difficultés de son champ d’application.

Une activité humaine dynamique et idiosyncratique

 

Au commencement était un besoin d’information

 

La RI se définit comme une interaction entre “un individu qui a besoin d’information” et “un document qui contient ou non la réponse à ce besoin” (Mizzaro, 1998). Il n’y a donc pas à proprement parler de réponse juste ou fausse, d’information intrinsèquement valide mais bien une information pertinente, parce qu’elle permet, pour cet utilisateur et dans un contexte de recherche personnalisé (un individu, une offre documentaire, un système de recherche) de répondre à un besoin, un “besoin qui traduit l’état d’un être par rapport à ce qui lui manque pour accomplir sa propre fin” (Freud cité dans Le Coadic, 2007 : 14). Ce besoin a été défini de différentes manières durant l’histoire des Sciences de l’information : rechercher une réponse à sa question, réduire l’incertitude, ou bien parvenir à un état de connaissance, ou bien encore donner du sens (Boubée et Tricot : 2010, 20).

 

Le rôle du besoin dans le processus cognitif de la RI est central : il en est le commencement, un commencement. Pour Nicholas Belkin (1982), le besoin d’information résulte de la prise de conscience par un individu d’une lacune dans l’état de ses connaissances : c’est le modèle ASK (anomalous  state  of  Knowledge). Mais cette prise de conscience est forcément incomplète : on sait ce que l’on sait, pas ce qu’on ne sait pas… Le besoin d’information serait donc une intention de recherche, un début de piste, une prise de conscience d’un problème cognitif à résoudre et d’un état de connaissance inadéquat (Op.cit : 18). Dans le cadre de la RI sur internet, il s’exprime à travers les requêtes, sous forme de formules de recherche (Desfriches Doria, 2015 : 11). Au fur et à mesure de la RI, ce besoin évolue et s’étend, en fonction d’un contexte donné. Le contexte est constitué d’un ensemble d’éléments : les acteurs, les activités multiples dans lesquelles ils sont impliqués, l’environnement informationnel et enfin l’environnement organisationnel dans lequel ils prennent place, tous ces éléments interagissant entre eux (Paganelli, 2016 : 176). C’est donc un contexte mouvant et personnalisé où le besoin fondateur, “une sensation qui porterait l’individu à s’engager dans une activité de RI” (Simonnot, 2009 : 41) fluctue : le raisonnement se déplace (Boubée et Tricot, 2010 : 28), en fonction d’éléments extérieurs à l’acteur mais aussi intrinsèques, comme la dimension affective. Le besoin d’information est en effet un état affectif qui se traduit par du stress, de l’anxiété, de l’angoisse, du scepticisme, de la réticence mais aussi de la motivation, de la confiance (Le Coadic, 2007 : 31) et ainsi que de la joie et de la satisfaction. La complexité de ce besoin fait dire à certains chercheurs qu’il s’agit d’une tâche complexe, et qu’elle doit être appréhendée comme telle, une tâche complexe qui se décompose en sous-tâches simples (Simonnot, 2009 : 50).

 

Un ensemble de tâches pour un but à atteindre

 

Les travaux précurseurs en RI étaient orientés système puis ont cherché à rendre perfectibles les systèmes d’information en prenant en compte l’activité des usagers. Ils se sont, de fait, intéressés aux actions menées par les chercheurs d’information, et ont élaboré la notion de tâche. Puis les travaux en RI ont privilégié l’approche de la RI comme démarche de résolution de problème et proposent de décomposer cette tâche complexe en sous-tâches plus simples (Op.cit). Le chercheur d’information devrait donc définir l’ensemble des éléments de la tâche, c’est-à-dire avoir la possibilité de déterminer la structure du problème (le besoin d’information), la manière d’accomplir la tâche, et les résultats qu’il en attend (Boubée et Tricot, 2010 : 27). Cette notion de tâche est donc particulièrement adaptée à l’étude de la RI en contexte professionnel (work task), une succession de tâches constituant une activité, qui peut être différente mais les tâches restent les mêmes (Desfriches Doria, 2015 : 29).

 

André Tricot a tenté de catégoriser la notion de tâches en distinguant celles qui relèvent du besoin initial, c’est-à-dire de la représentation du but à atteindre, et celles qui sont associées à la cible (localisation et identification du nombre). En croisant ces deux données, il propose quatre tâches de recherche d’information (Boubée et Tricot, 2010 : 33). L’objectif est donc de chercher à comprendre les processus cognitifs qui sous-tendent chaque étape de la RI. Si ces étapes ne sont pas forcément conscientisées par les acteurs, elles guident le chercheur d’information dans la tâche principale de RI et sont communes, bien que personnalisées chaque fois, à toutes situations de recherche.

 

Modéliser la RI pour la maîtriser

 

Chercher à modéliser la RI pour en comprendre les modalités a d’abord été une volonté des chercheurs qui souhaitaient optimiser les systèmes de RI en comprenant mieux  les difficultés des utilisateurs (Dinet et Tricot, 2008 : 3) . Puis, dans les années 80, les auteurs, notamment anglo-saxons, ont privilégié l’approche cognitiviste afin d’analyser le processus de recherche d’information, mais aussi des comportements informationnels et plus largement de l’activité informationnelle (Paganelli, 2016 : 170). De nombreux modèles ont ainsi été développés pour analyser et décrire le processus de recherche d’information et d’accès à l’information. Ces modèles s’attèlent à expliciter un processus, ses causes et ses conséquences et s’ils fournissent un cadre pour penser et analyser cette problématique, ils offrent une “vision simplifiée de la réalité” (Do Case cité dans Paganelli, 2016 : 170).

 

Nous ne procéderons pas à un état de l’art des modèles d’activité de RI et renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Nicole Boubée et André Tricot “Qu’est-ce que recherche de l’information ?” (2010) et/ou aux nombreux articles qui tentent de synthétiser les approches et les modèles dont celui de Madjid Ihadjadene et Stéphane Chaudiron “Des processus aux pratiques : quels modèles informationnels pour analyser l’accès à l’information en contexte professionnel ? “(2009).  Un modèle cognitiviste a cependant retenu notre attention, le modèle EST (pour Évaluation, Sélection, Traitement) de Rouet et Tricot (1998). Ce modèle articule la compréhension du contenu des documents et le processus de RI comme démarche de  résolution de problème (Dinet et Tricot, 2008 : 11) et nous interpelle parce qu’il présente la RI comme une succession de cycles non linéaires et dynamiques au fur et à mesure de la recherche, et introduit l’idée que les individus peuvent agir de façon non rationnelle, ce qui va à l’encontre d’une vision stratégique que les utilisateurs pourraient avoir de la RI.  En effet, nous croyons peu à la vision d’une RI comme  stratégie cognitive, c’est-à-dire une succession de plans d’actions organisés, élaborés spécifiquement pour atteindre et réaliser un but (Fournier et Loiselle : 2009, 20). A l’inverse, nous concevons la RI comme guidée par des logiques aléatoires, approximatives et idiosyncratique puisque liée fortement à la notion de contexte. Nous nous rapprochons ici de l’idée de bricolage et de butinage développée par certains chercheurs, dont Serge Proulx et Pascal Plantard.

 

Sans aller jusqu’à ce concept, Madjid Ihadjadene et Stéphane Chaudiron concluent leur article sur le fait qu’ils leur semble difficile, à l’instar de certains chercheurs, de concevoir un modèle général des pratiques informationnelles qui permettrait de mettre à jour une théorie générale avec une logique explicative unique de l’ensemble de ces pratiques.  Ils proposent de trouver une voie de passage entre l’analyse de pratiques localisées et les théories générales en centrant les analyses sur les dispositifs, les tâches et les activités de recherche, et les besoins d’information (Ihadjadene et Chaudiron, 2009 : 8). C’est cette démarche qui sera la nôtre dans cette étude : privilégier l’approche personnalisée de certains composants de la RI afin de mettre à jour la complexité du processus et ce qu’il permet de comprendre du rapport à l’information pour les enseignants. Dans cette approche, la question de l’évaluation de l’information est un composant essentiel et incontournable.

 

L’activité centrale de l’évaluation de l’information

 

Une information est validée lorsqu’elle répond à un besoin d’information dans un contexte de recherche et qu’elle est sélectionnée, récupérée et réinvestie. La validation n’est donc pas intrinsèque, mais c’est le résultat d’un procédé intellectuel. C’est un problème empirique complexe et dynamique, nous disent Nicole Boubée et André Tricot (Boubée et Tricot : 2010, 99) c’est pourquoi nous nous focaliserons sur critères de jugement en général et chez les enseignants plus spécifiquement.

 

La notion de pertinence est une notion ambiguë au coeur de la problématique de RI et intimement liée à la notion de besoin d’information (Simonnot, 2010 : 161). La pertinence (relevance) est ce qui jugé utile pour la résolution d’un problème d’information. En effet, un document n’est pas seulement évalué comme étant « approprié au thème » (topicality), et à ce titre validé dans un jugement binaire par oui ou par non, mais il est apprécié plus subtilement comme s’inscrivant ou non dans un processus de RI. “Pour comprendre empiriquement la pertinence, il convient d’examiner les relations qui s’établissent entre usagers, documents et activité (Op.cit : 101).

 

Le critère de  pertinence n’a donc rien à voir avec celui de crédibilité qui est un “caractère ou une qualité que l’on attache à une entité et qui la rend susceptible d’être digne de confiance” (Simonnot, 2012 : 181). La crédibilité est donc une qualité que l’on accorde de manière globale et subjective à une source donnée et ne peut se confondre avec l’autorité cognitive (Op.cit : 184). Alexandre Serres associe crédibilité et fiabilité et rattache ces notions à celles de confiance, de croyance et de foi  (Serres, 2012 : 116). Pour Dominique Maurel et Aïda Chebbi, les critères de qualité et de valeur symbolique sont à prendre en compte dans la notion de confiance informationnelle (Maurel et Chebbi : 2012, 87). Ainsi le critère de crédibilité comme celui de pertinence sont-ils avant tout  des critères subjectifs qui dépendent fortement des individus, du contexte de recherche et du besoin d’information.

 

Les critères de pertinence et de crédibilité font partie de la longue liste des critères de jugement que les usages mettent en jeu durant la RI. Nicole Boubée et André Tricot ont tenté d’en faire l’inventaire et recensent vingt-deux critères organisés en six catégories : contenu, format, présentation, document-entité physique, source-auteur et aspects temporels (Boubée et Tricot,  2010 : 103).

 

Catégories Critères Définitions
Contenu Adéquation au thème de recherche
Etendue, profondeur Détaillé, complet (…)
Exactitude, validité Correct, précis, valide
Vérifiable En accord avec d’autres informations (…)
Récent Actuel, en cours, actualisé
Nouveau Inconnu, rareté
Tangible Réel, solide, vrai
Pertinent pour un autre thème Pour un usage futur
Liens possibles avec d’autres informations Information peut être ajoutée à d’autres informations
Catalyseur de pensée Aide à la formulation de ses propres idées
Agréable Amusant, vivant, dynamique, distrayant
Titre
Format Manipulable Facile  à manipuler
Choix Plusieurs formats de présentation ou d’impression
Présentation Clarté Organisation du document (…)
Dynamique Zoomable, interactif, projection
Genre adéquat Forme discursive (…) Adapté à l’usage futur
Document – entité physique Accessibilité Effort requis pour l’obtenir, coût financier ou accès libre, proximité géographique
Disponibilité
Source – Auteur De confiance, fiable Qualité de la source : réputation, expertise, crédibilité, autorité
Appartenance disciplinaire
Relation personnelle avec auteur
Aspects temporels Temps Temps exigé

Fait gagner ou perdre du temps

Tableau 1 : Les critères de pertinence (Liste élaborée par N.Boubée et A. Tricot)

 

Evidemment, ce n’est pas l’ensemble de ces critères qui est convoqué pour chaque recherche et chaque critère peut être utilisé pour sélectionner ou réfuter un document. Plus encore, ces critères n’ont pas de valeur intrinsèque : ils ne produisent leurs effets que par leur mise en relation relative à un seul document ou à un corpus de documents.. Ainsi, Alexandre Serres précise que ces critères ne sauraient être utilisés de manière isolée ou séparée, qu’ils ne sauraient s’appliquer en dehors de tout contexte concret et qu’ils ne sauraient traduire la diversité des domaines disciplinaires et qu’ils se complètent, s’enrichissent et se diversifient selon les domaines disciplinaires, thématiques, de l’information (Serres, 2012 : 141). Dans le cadre de notre étude sur la recherche d’information sur le web, il sera particulièrement pertinent de chercher à définir si les enseignants possèdent des critères de jugement en commun et, si oui lesquels, même si plusieurs études ont déjà mis en avant la spécificité des critères liés aux documents numériques disponibles sur internet comme le format, l’hypertextualité, l’accès, etc.  (Boubée et Tricot, 2010 : 107).

 

Qu’est-ce que la recherche d’information ?  C’est un processus qui consiste à réduire l’incertitude afin de répondre à un besoin d’information.

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